Virginie Gollino : "La scolarité est au coeur de l'Academy"
Arrivée à l’AS Monaco il y a huit ans, Virginie Gollino est la responsable de la scolarité au Club, lequel bénéficie d’un lycée totalement intégré à son centre de formation, avec le statut d’établissement privé hors contrat.
Depuis huit ans au service des jeunes
Installée dans un bureau au rez-de-chaussée de La Diagonale, à quelques mètres des différentes salles de cours, celle qui est chargée de veiller chaque jour sur les académiciens nous raconte son quotidien et ce qui est mis en place afin que les jeunes n’oublient pas l’importance de la scolarité malgré leurs nombreuses heures d’entraînements. Entretien.
Bonjour Virginie. Tout d’abord, si l’on compare à de nombreux autres clubs professionnels, c’est une vraie spécificité pour l’AS Monaco d’avoir la partie scolarité totalement intégrée au centre de formation…
C’est vrai que peu de clubs le font. Les élèves ont l’école totalement intégrée au sein de La Diagonale. Cela va de la classe de troisième, niveau collège, jusqu’au BTS MCO (Management commercial opérationnel). Nous avons plusieurs filières qui mènent au baccalauréat : la filière professionnelle pour le bac pro commerce, la filière technologique pour le bac STMG option mercatique et option gestion et la filière générale avec les matières scientifiques et économiques.
Depuis combien de temps ce type de scolarité est-il mis en place ?
Cela fait très longtemps. Quand je suis arrivé il y a huit ans, nous avons continué de développer ce qui était déjà en place. Avant, pour la filière professionnelle, ça s’arrêtait à la première, mais nous donnons désormais la possibilité aux jeunes d’obtenir un bac professionnel et de poursuivre ensuite sur un BTS s’ils ont un bon niveau en sortant de leur baccalauréat (professionnel, technologique ou général).
C’est un point sur lequel vous mettez l’accent, en vue de la deuxième carrière des joueurs ou si le jeune n’arrive pas à percer ?
L’objectif premier du joueur est bien évidemment qu’il soit footballeur, mais il faut aussi qu’il pense à son après carrière. Celui qui n’y arrivera pas, ou qui fera une plus petite carrière qui ne lui suffira pas pour vivre, sera obligé de travailler. Cela leur permet d’avoir un bagage. Nous souhaitons que nos joueurs aient le baccalauréat, car sans celui-ci, ce n’est pas possible d’enchaîner les études. S’ils ne poursuivent pas à l’instant T, il faut qu’ils puissent reprendre plus tard. Aujourd’hui, même pour un diplôme d’entraîneur, le niveau bac est demandé.
Le fait d’avoir cette centralisation doit être un atout pour rassurer les parents des joueurs ?
Le fait que la structure soit intégrée et que l’on ait de bons résultats aux examens aide, en effet. Nous avons également mis en place depuis cette année une commission médico-scolaire avec la psychologue, Mme Noëmy Kostic, et le médecin de l’Academy, Docteur Maxime Feller, ainsi qu’une orthophoniste, Mme Emilie Nguyen, et la cellule spécialisée de la DENJS. C’est une première je crois en France. Avant même que les jeunes arrivent, on regarde leurs dossiers et on rentre en contact avec les familles, en ciblant ceux qui pourraient potentiellement être un peu plus en difficulté afin de les aider scolairement dès leur arrivée. Cela fait quelques années que l’on a commencé à la structurer mais elle va prendre tout son sens cette année.
Pour résumer ces premières lignes, on peut donc dire que nous avons un collège et un lycée intégrés à l’AS Monaco ?
Le lycée surtout, oui, comme nous faisons aussi du supérieur en allant jusqu’au BTS. Normalement, lorsque les joueurs arrivent, ils sont dans leur année de seconde. Mais il y a parfois des aménagements spécifiques. Cette année, par exemple, nous avons une classe de troisième avec un seul élève car il a redoublé avant d’intégrer l’AS Monaco. Nous nous adaptons et faisons du cas par cas. Le nombre d’élèves par classe varie donc de 1 (une classe de troisième) à 11 (de seconde générale), avec onze classes qui vont donc de la troisième aux BTS.
Et au niveau des résultats ?
Généralement, on ne descend pas en dessous des 95%. Nous avons toujours un bon taux de réussite, et c’est le résultat d’une bonne préparation de toute notre équipe enseignante.
Lorsqu’on est une structure comme celle-ci, avec la possibilité d’accueillir dans un bâtiment tout en un, est-ce que c’est un argument supplémentaire pour convaincre les parents mais aussi pour faire comprendre au jeune que la scolarité est très importante pour lui ?
De toute façon, que ce soit à la scolarité, à la vie quotidienne, à l’Academy avec les entraîneurs, tout le monde a le même discours et sait que l’école est importante. Nous sommes conscients qu’un jour ou l’autre, ils en auront besoin. La Diagonale facilite les choses car nous sommes tous au même endroit donc nous nous rencontrons régulièrement, tout le monde peut se parler et relaie le même discours. C’est vraiment un plus. Les parents sont aussi importants dans ce relationnel, même s’ils sont loin. Nous sommes là pour les suppléer. Ils nous font confiance en nous donnant leur enfants. Donc nous avons un rôle d’éducation auprès de ces jeunes, qui va au-delà de l’école. Nous sommes là pour leur donner les bases pour devenir un homme dans la vie quotidienne. Dire bonjour, merci, au revoir, être à l’heure à un rendez-vous, tout ce que devrait faire un parent, mais qui ne peut pas être fait avec l’éloignement.
Tout cela est le rôle de nombreuses personnes qui gravitent autour de vous. Combien travaillent au quotidien pour ces jeunes ?
Pour la scolarité, nous avons 18 professeurs, un surveillant qui va arriver, et moi-même. A la vie quotidienne, ils sont une dizaine d’animateurs. Il faut beaucoup de monde pour encadrer toute la journée les quelque 70 joueurs qui composent l’Academy. En plus de ces personnes-là, il y a le staff, le médical, la psychologue, le préparateur mental. Il y a vraiment tout ce dont ils ont besoin.
Justement, pouvez-vous nous présenter brièvement les installations de la scolarité à La Diagonale ?
Au rez-de-chaussée, il y a la salle de jeu et les bureaux de la vie quotidienne, où ils peuvent venir poser des questions diverses et variées, ainsi que la scolarité. Au premier étage, ils ont les différents lieux pour le médical : une salle de musculation, une autre pour les kinés et enfin un lieu de balnéothérapie avec bain froid et bain chaud pour la récupération. Les entraîneurs sont également sur ce premier étage. Au deuxième niveau, nous retrouvons les bureaux des médecins, de la psychologue, du préparateur mental. Pour les autres étages, ce sont les chambres et studios.
Comment sont installés les jeunes dans le bâtiment ?
Les plus jeunes qui arrivent sont en chambre double et ils gagnent ensuite leur autonomie au fil des années et avec leur sérieux. Avant, c’était totalement différent : les plus petits étaient au stade, les plus grands dans un internat en ville et les majeurs habitaient dans des studios répartis en Principauté et dans les villes alentours. Tout le monde était dispatché, et maintenant nous sommes tous au même endroit. Cela permet de se voir et de se parler plus rapidement. Pour les jeunes, c’est beaucoup moins fatigant car ils n’ont plus le bus à prendre pour se déplacer. La Diagonale facilite la vie de tout le monde. Pour nous aussi, les choses vont désormais beaucoup plus vite.
Est-ce que les cours donnés sont les mêmes que dans des lycées « classiques » ?
Il faut savoir que nous avons le statut d’établissement privé hors contrat, mais nous respectons à la lettre tous les référentiels et exigences de l’Education Nationale française. Les élèves de l’Academy passent exactement les mêmes diplômes que les élèves en établissement public. Ce statut nous permet en revanche d’avoir de la latitude et de pouvoir organiser différemment les plannings et les emplois du temps des jeunes.
En plus des heures de cours, ont-ils d’autres activités en plus du football ?
Pour les jeunes qui entrent, j’ai intégré des cours de théâtre et de percussion, pour leur faire découvrir autre chose. Le théâtre les amène à parler, car ils vont être un jour amenés à faire des interviews devant des caméras. Nous essayons d’ouvrir au maximum leurs esprits, en les emmenant voir des pièces de théâtre, des concerts, des manifestations diverses. A Monaco, nous allons au Festival International du Cirque de Monte-Carlo ou encore voir le Grand Prix électrique (Formule E), par exemple.
L’ouverture d’esprit, c’est notamment ce que vous avez fait en leur projetant le film sur la carrière d’un jeune joueur de l’AS Rome…
Je souhaitais organiser cette diffusion en tant qu’événement de rentrée en septembre, mais nous avons été contraints de le reporter. Ce film retrace un moment de la carrière d’un joueur qui aurait pu déraper, lorsqu’il rentre dans le monde professionnel avec un entourage qui n’est pas forcément le bon. Le joueur commence à se perdre, mais le club dit stop et lui impose de passer son baccalauréat. Un lien se crée ensuite entre le joueur et le précepteur, et tout finit par rentrer dans l’ordre. Ce film leur a permis de prendre du recul et de se rendre compte de l’intérêt de l’apprentissage et d’avoir une formation, une culture, pour ne pas faire de bêtise et ne pas se perdre dans le monde professionnel.
Quel a été le sentiment des joueurs après la diffusion ?
Ça leur a parlé. Certains se sont retrouvés dans ce film. Cela permet également de mettre en avant le travail des enseignants, qui n’est pas toujours mis en lumière. Plein de choses avancent grâce à eux. Ce ne sont pas seulement des professeurs, ils sont aussi éducateurs de vie au quotidien. Leur travail compte énormément.
Parlez-nous de ce don de manuels scolaires que vous avez fait il y a quelques jours.
Avec le déménagement et la réforme des examens, je devais jeter un grand nombre de manuels car ils étaient périmés. Cela me faisait mal au coeur, alors j’ai pris contact avec la mairie et ils m’ont dit qu’ils étaient intéressés pour les récupérer. J’ai donc initié ce don et ils les ont ensuite redistribués à d’autres associations.
Et puis il y a aussi eu la tempête Alex, pour laquelle le Club s’est mobilisé. Quelles initiatives ont été prises par l’Academy ?
Nous avons fait un don de dix ordinateurs qui ne nous servaient plus, pour les jeunes de Saint-Martin-Vésubie. L’école n’a pas été touchée mais de nombreux élèves ont tout perdu, donc ils ont pu rester en communication avec les autres. Les jeunes sont aussi allés, avec Laurent Tinca, le Responsable Vie Quotidienne, faire une soirée caritative dans un restaurant de La Turbie au profit de la commune de Saint-Martin-Vésubie. Les jeunes se sont cotisés pour les habitants sinistrés.
Cela a peut-être été d’autant plus simple que Saint-Martin-Vésubie est un lieu que les jeunes connaissent ?
Quelques jours après la tempête, j’avais demandé à Hélène d’Aumale, en charge de l’AS Monacoeur, d’intervenir pour leur présenter le projet. A ce moment-là, on leur avait montré les images du village détruit, car tous étaient montés en stage à Saint-Martin-Vésubie cet été. Ils connaissaient donc le stade, mais n’avaient pas pris connaissance des images. Ils ont été vite sensibilisés et partant pour se mobiliser.
Suite aux dégâts considérables causés par la tempête Alex ce vendredi 2 octobre dans les Alpes Maritimes 😞, l’AS Monaco met à disposition quatre logements aux sinistrés de Saint-Martin-Vésubie, village dans lequel l’Academy part en stage depuis 4 ans. 🏠https://t.co/mGzV0sr5k0
— AS Monaco 🇲🇨 (@AS_Monaco) October 6, 2020
Revenons-en à vous. Quel est le quotidien d’une responsable de scolarité ?
Il faut gérer le quotidien avec les élèves. Si des élèves ne sont pas présents, je dois savoir où ils sont. Cette année, il y a aussi la réforme du baccalauréat. Il faut la comprendre, puis arriver à la mettre en place avec les enseignants. Pour ceux plus en difficulté, il faut être à leur écoute. Mon métier passe aussi par l’organisation des examens blancs et finaux. Il y a également cette année une nouvelle épreuve orale au baccalauréat lors de laquelle les jeunes devront parler pendant cinq minutes de leur orientation. Il va falloir faire un travail sur ce point. Cela ne sera pas simple, car bien évidemment que leur plan A est d’être footballeur, mais ils devront avoir un plan B et savoir en débattre.
Et nous imaginons qu’il y a encore beaucoup d’autres tâches…
Il faut gérer le quotidien des professeurs et les plannings. Il faut faire le lien avec la vie quotidienne pour organiser des sorties extra-scolaires, des soirées pédagogiques, mettre en place divers événements avec les jeunes. Cela prend du temps d’essayer de trouver les bons interlocuteurs et les bonnes personnes pour pouvoir faire des partenariats et avoir de nouvelles idées. Nous allons travailler sur la journée des droits des enfants par exemple et celle des droits de la femme afin de les sensibiliser sur ces questions sociétales.
Comment s’est déroulée la mise en place de toutes les mesures suite au Covid-19 ?
Comme pour beaucoup d’adolescents, cela a été compliqué au départ de leur faire comprendre qu’il fallait porter le masque. Maintenant, c’est davantage rentré dans les moeurs. L’autre chose qui a changée, c’est le serrage de main. C’est ce qu’ils apprenaient quand ils arrivaient à l’Academy. Ils avaient ce réflexe lorsqu’ils croisaient quelqu’un, mais maintenant, c’est très bien intégré et tous les gestes barrières ont été compris.
Et en mars, quand tout s’est arrêté ?
Nous avions convoqué tous les jeunes un vendredi après-midi, à la cafétéria. On leur avait dit de rentrer chez eux avec un maximum d’affaires car on ne savait vraiment pas comment ça allait se passer. L’école à distance, via des cours en visioconférence, s’est mise en place petit à petit et ils ont vraiment bien respecté le procédé jusqu’à la fin du mois de juin. Cela a permis à ceux qui revenaient de ne pas prendre trop de retard. J’avais refait les emplois du temps afin qu’ils ne commencent pas trop tôt le matin et ne finissent pas trop tard le soir afin qu’ils puissent aussi profiter de leurs familles. C’était quelque chose d’important comme ils ne sont pas souvent chez eux. Ça s’est bien passé. Concernant les examens, la notation s’est finalement arrêtée et comme ils avaient été bien préparés, ça n’a pas posé de problème. Ceux qui étaient proches de la moyenne, et très sérieux pendant le confinement, ont finalement validé leur diplôme.
Quel lien entretenez-vous avec Bertrand Reuzeau, le Directeur du centre de formation, avec qui vous faîtes le lien entre le sportif et la scolarité ?
Toutes les semaines, nous avons une réunion avec Bertrand, Laurent (Tinca), le docteur et la psychologue. Nous faisons un point sur tout ce qui se passe et ce que chacun veut mettre en place, afin de pouvoir gérer les plannings hebdomadaires. Avec le sportif, il faut trouver des solutions pour que école et football puissent cohabiter. Cette saison, par exemple, ils ont cours tous les après-midi et s’entraînent le matin. Cela a changé des autres années car nous avions des soucis d’accès aux terrains. Chacun fait un pas vers l’autre pour que ce soit géré au mieux par toutes les entités. S’ils partent plus tôt car ils ont match, alors on déplace les cours.
Êtes-vous également en contact régulier avec les entraîneurs ?
Je leur envoie des informations par mail quand j’en ai besoin, mais ça peut aussi se faire autour d’un simple café. Comme nous sommes désormais tous au sein de ce même bâtiment qu’est La Diagonale, c’est devenu beaucoup plus simple. La scolarité au rez-de-chaussée, c’est bien car tout le monde peut passer et voir que les joueurs sont à l’école, et leur attitude.
Quelle relation avez-vous avec les parents des jeunes de l’Academy ?
Ils sont de plus en plus impliqués dans les résultats de leurs enfants. Depuis mon arrivée il y a huit ans, j’ai constaté un changement. Au début, les parents lâchaient plus de lest. Le discours c’était : « On vous l’a laissé, maintenant occupez-vous de lui ». Maintenant j’essaie de les impliquer davantage par le biais du logiciel scolaire, mais également de les appeler, de leur proposer de venir et de rencontrer les professeurs. Cela permet de garder un lien car même à distance, la famille a un rôle à jouer. Ce ne sont pas nos fils, même si parfois, on se pose la question (sourire).
Avec l’éloignement, vous les voyez malgré tout plus que leurs propres parents…
C’est vrai que nous avons une relation particulière. Un lien se crée et c’est différent d’un établissement scolaire classique où l’élève rentre chez lui tous les soirs. Lorsque je vais parfois les voir jouer le week-end ils sont contents… Mais ils me disent aussi « Ah, mais vous êtes encore là madame, on est en août… » (rires).
Et pour les jeunes qui viennent de pays étrangers, comment se passe le maintien de la scolarité ?
Lorsque Tiago Ribeiro est arrivé ici, il ne parlait pas du tout Français. Comme l’Italien Giuseppe Iglio. Nous avons commencé par leur apprendre la langue, et ils apprennent vite car ils sont au contact systématique des autres. En parallèle de leur apprentissage, je m’étais renseignée avec des structures au Portugal et en Italie pour faire des cours à distance. Tiago a pu passer le diplôme portugais équivalent au baccalauréat français. Il faisait les cours par Skype et venait faire les contrôles dans mon bureau. Je les envoyais ensuite à l’école et eux voulaient simplement que j’atteste qu’il était bien surveillé lorsqu’il passait son examen.
Sentez-vous une différence, dans la gestion de la distance, entre les locaux et ces jeunes qui viennent de plus loin ?
Cela dépend du caractère de chacun et de l’investissement de la famille. Certaines descendent régulièrement, les appellent, viennent les voir. Pour ceux dont la famille est proche, ce n’est pas pour ça qu’ils rentrent plus. On essaie au maximum de les faire rentrer pendant les vacances, qui sont d’ailleurs mises en fonction du calendrier des matchs et des entraînements, et pas du calendrier scolaire français. Nous avons vraiment la possibilité de s’adapter au sportif en étant un établissement privé hors contrat.
Cela fait huit ans que vous travaillez ici, vous avez donc vu passer plusieurs générations. Nous imaginons que c’est une fierté de se dire qu’ils ont passé l’étape sportive, mais qu’ils s’épanouissent également dans les médias et dans leur environnement global…
Ça fait plaisir, c’est certain. Ils se rendent compte après que c’était important même si sur le moment c’était difficile. Même s’ils ne le disent pas, ils sont fiers d’avoir obtenu un diplôme, qu’ils aient réussi dans le football ou pas.