Vincent Duluc : "J’avais une relation particulière avec Arsène Wenger"
Il est une légende du métier ! Une des plus belles « plumes » de la profession. Fraîchement élu président de l’UJSF (l’Union des journalistes de sport de France), Vincent Duluc écrit dans le quotidien sportif L’Équipe depuis près de 30 ans (février 1995). Originaire de Bourg-en-Bresse, il commence sa carrière au quotidien régional Le Progrès en 1979. Depuis, il a connu 11 championnats d’Europe de football et 10 coupes du Monde. Toujours autant passionné par ce ballon rond, mais grand amoureux de sport en général, il a accepté de nous conter ses plus beaux souvenirs avec l’AS Monaco. Avec la simplicité et la gentillesse qui le caractérisent. Entretien.
Bonjour Vincent. Pour commencer, à quand remontent vos souvenirs les plus anciens avec l’AS Monaco ?
Je suis né en 1962. Donc à l’époque, je lisais dans Foot Magazine, But ou L’Équipe, les grandes heures du Monaco de Lucien Leduc, Henri Biancheri, Michel Hidalgo et surtout Théo (Théodore Szkudlapski). La presse de l’époque l’aimait beaucoup, et gardait presque une nostalgie de la période où il a joué. Je ne l’ai jamais vu personnellement, mais j’ai lu l’admiration que les journalistes avaient pour lui. Ensuite le premier souvenir moderne, c’est le Monaco de Delio Onnis dans les années 70. Je me souviens très bien de la finale de la Coupe de France contre Saint-Etienne, c’était en 1974.
Une sacrée période pour le Club, avec notamment la remontée dans l’élite et le titre de champion en 1978 dans la foulée…
Oui, d’autant que ça ne s’était vu qu’une fois, avec les Verts justement, qui étaient montés en 1963 et avaient gagné le titre en première division en 1964. Mais là c’était assez impressionnant, d’autant qu’étant d’origine bressane, il y avait deux joueurs de cette équipe monégasque qui étaient de ma région : Yves Chauveau et George Prost. C’était une raison de plus pour moi de suivre l’AS Monaco à distance. La dernière étant que mon arrière grand-mère avait une maison à Saint-Jean Cap Ferrat et que je venais tous les ans à Pâques et à Noël.
Historiquement, des grandes stars ont également posé leurs valises en Principauté. Une d’entre elles vous a-t-elle particulièrement marqué ?
Évidemment. Quand Ralf Edström est arrivé à l’AS Monaco (en 1981), je me suis dit : « Ah oui quand même, Ralf Edström ! ». Il jouait au PSV Eindhoven et en équipe nationale de Suède, ce n’était pas rien. N’importe quel étranger qui débarquait à Monaco, ça me faisait le même effet. Je me souviens aussi du Suisse Umberto Barberis (1980-1983).
N’est-ce pas cette tradition d’attirer les meilleurs, qui a fait de l’AS Monaco un club si populaire partout en France ?
Je pense que c’est une partie de la théorie effectivement. Mais l’autre raison, c’est le jeu pratiqué. On peut penser qu’un club qui est assez peu suivi n’est pas obligé de séduire, mais il y a une tradition du beau jeu, qui a fait la renommée de l’AS Monaco. Dans les années Arsène Wenger par exemple, il y avait une certaine idée du jeu. Et on a retrouvé cela chez trois entraîneurs sur quatre dans ce club. Il y aussi le fait que Monaco a toujours joué le jeu en coupe d’Europe. Et d’ailleurs, s’il est évident que l’ASM fait moins vendre de journaux que le PSG, Marseille ou encore Lyon, personne ne déteste cette équipe. Ce n’est pas un club clivant. Et tout le monde peut se réjouir d’un beau parcours des Monégasques, là ou un Marseillais ne souhaitera jamais voir Paris gagner. Il y a vraiment une empathie envers cette équipe, et une base populaire qui est assez large autour de Monaco.
Quelles sont les grandes dates européennes d’ailleurs que vous gardez en mémoire ?
Il y a cette finale de Coupe des Coupes face à Brême en 1992, même si elle s’est jouée dans des circonstances trop particulières (le drame de Furiani s’était produit la veille). Elle n’a pas vraiment eu lieu finalement. Il y a une demi-finale de Ligue des Champions deux ans après, en 1994 contre l’AC Milan. Et aussi cette demi-finale de Coupe UEFA contre la Sampdoria Gênes en 1990. Je revois encore Gianluca Vialli, Attilio Lombardo et Roberto Mancini dans cette belle équipe de la Samp’.
Des matchs avec une atmosphère spéciale…
Bien sûr. L’autre attrait qu’il y avait à la fin des années 80 – début des années 90 à Monaco, c’était le repas de la presse le jour du match à la brasserie L’Argentin au Loews. Il y avait tous les journalistes, Jean-Michel Larqué, Thierry Roland… Des grands moments, qui n’existent plus du tout, mais qui créaient une atmosphère entre le club et la presse qui était vraiment intéressante. Pour le club c’était de la relation publique, mais pour nous c’était avant tout de la relation humaine. Ces repas européens ont beaucoup existé à Nantes et à Monaco. C’est quelque chose dont j’ai vraiment la nostalgie. Thierry Roland passait devant le buffet de homards, et disait : « Eh bien là, on n’est pas à la cafétéria Casino, je peux te le dire mon petit Duluc ! ».
Partagez-vous le constat qu’il y a une proximité particulière entre les acteurs à Monaco ?
Je n’ai jamais suivi le club au quotidien ou sur une saison pour L’Équipe. Mais je me souviens avoir fait quelques déplacements, notamment pour une interview d’Eric Abidal, ou quelques reportages à La Turbie. Cette proximité est déjà présente au Stade Louis-II. C’est un des rares stades, même si les règles changent aujourd’hui, où tu pouvais voir tout le monde avant le match sur cette piste d’athlétisme. On voyait passer les joueurs à la sortie de l’escalier. Effectivement il y a ce paradoxe entre l’idée que les gens se font de Monaco en général, et la proximité qu’il peut y avoir avec les acteurs du club.
Avez-vous des souvenirs de moments privilégiés justement avec certains joueurs ?
J’étais dans le vestiaire à Rotterdam après la qualification pour la demi-finale de Coupe des Coupes face à Feyenoord. J’étais au match pour le quotidien régional Le Progrès, et à l’époque tu pouvais rentrer dans les vestiaires. Je me rappelle parfaitement de ce match qui s’est déroulé au Printemps 1992, puisqu’avant le match ils avaient bombardé de musique dans le stade, les supporters étaient comme des dingues. Ils avaient passé au moins cinq fois « One » de U2. Il y avait une ambiance incroyable. Et donc après le match tu pouvais aller dans le vestiaire et faire qui tu voulais en interview. J’avais fait Claude Puel. Alors qu’à l’époque j’avais 29 ans, personne ne me connaissait, mais il n’y avait pas de différences entre ceux qui payaient ou pas, les ayant-droits… Même si nous étions beaucoup moins nombreux à couvrir les matchs, c’est vrai.
Et avec des entraîneurs ?
J’avais une relation particulière avec Arsène Wenger. Quand j’étais très jeune journaliste, on l’appelait dans son bureau, et il répondait. Si on avait bien préparé nos questions et qu’elles étaient intelligentes, on passait une heure fantastique au téléphone avec lui. Je ne suis peut-être pas très objectif, car j’ai toujours adoré discuter avec lui. Je suis souvent retourné à Arsenal. On refaisait parfois le foot avec lui dans son bureau. J’ai un peu la nostalgie des années Wenger, car je l’ai beaucoup aimé à Arsenal qui est mon club de cœur en Angleterre depuis 1972, mais à Monaco également. J’aimais beaucoup son équipe et ses joueurs à l’époque. Il avait le nez pour dénicher des grands talents, le réseau qu’il fallait et la patience surtout. Il avait aussi l’intelligence de savoir ce qu’il pouvait obtenir d’un joueur et la manière dont il allait l’obtenir. Un mélange de détermination et de calme qui est impressionnant chez lui.
Il s’inscrit dans la longue liste des grands entraîneurs ayant officié au club…
J’ai beaucoup aimé Gérard Banide aussi. J’étais jeune journaliste à la Coupe du Monde au Mexique en 1986 et j’allais voir les entraînements de l’équipe de France, car c’est lui qui les animait. C’étaient des séances passionnantes, avec des trucs que je n’avais jamais vus avant. Je l’ai croisé depuis, d’ailleurs il est plus joueur de pétanque désormais que dans le football. Il a même écrit un livre très intéressant dessus. C’est quelqu’un de passionnant. On oublie aussi souvent que c’est Monaco qui a lancé la carrière d’entraîneur de Didier Deschamps. Et puis nous n’en avons pas parlé, mais le jeu du Monaco de Jean Tigana… Quelle équipe ! Sabri Lamouchi, Thierry Henry, David Trezeguet, c’était une équipe magnifique. Voilà encore un entraîneur français qui a été important.
Certains joueurs vous ont-ils marqué plus que d’autres ?
(Il réfléchit) Comme téléspectateur ou spectateur, j’ai beaucoup aimé Glenn Hoddle. C’était un grand soliste, qui faisait à peu près ce qu’il voulait avec le ballon. J’aimais bien Dominique Bijotat aussi, dans le même style de milieu de terrain un peu élégant et qui était bon technicien. Il y a eu beaucoup de beaux joueurs à l’AS Monaco. Rui Barros était plus dans le registre d’accélérateur à la Ludovic Giuly. Quand on fait la liste de toutes les immenses stars qu’il y a eu ici en Principauté, c’est quelque chose. Le paradoxe, c’est presque d’avoir connu des trous d’air entre ces générations. J’étais au match de la descente en 2011, quand Claude Puel bat l’ASM avec Lyon et envoie son club de toujours en Ligue 2. Mais il y autre chose qui nous attache à Monaco, c’est le maillot.
Qu’a-t-il de si particulier ?
Le fait que le maillot n’ait quasiment jamais changé et garde cette identité de toujours, fait qu’on s’attache aussi à ce club. La Diagonale dessinée par la Princesse Grace, c’est raccord avec la mythologie de l’endroit et l’histoire du club à la fois.
Pour finir, s’il fallait retirer un exploit de l’histoire de l’AS Monaco, lequel choisiriez-vous ?
Je n’en ai pas parlé dans mes meilleurs souvenirs, mais j’étais aux deux matchs contre Manchester City en 2017, à l’aller et au retour. C’était une double confrontation fantastique. Même Arsenal en 2015 à l’Emirates. Mais si je devais n’en garder qu’un, ce serait le Real Madrid en 2004. Ce n’est pas très original, mais je pense que c’est le plus grand exploit. Je me rappelle de Chelsea aussi, où il y avait Claude Makélélé au milieu de terrain, qui avait simulé une faute dans la surface de réparation. Le lendemain, la presse anglaise avait titré : « C’est quand même bizarre qu’un type surnommé ‘trois jambes’, n’arrive pas à tenir debout ». J’avais trouvé ça très drôle (il sourit).