Nonda, les Galactiques, l’épopée 2004… Les souvenirs d’Emmanuel Adebayor
Il a joué dans les plus grands clubs européens ! Mais avant de faire carrière à Manchester City, Arsenal ou encore au Real Madrid, Emmanuel Sheyi Adebayor a passé près de trois ans de sa vie à l’AS Monaco, entre 2003 et 2006. Arrivé de Metz à seulement 19 ans, l’ancien international togolais, aujourd’hui à la retraite depuis 2020, a ainsi connu l’épopée en Ligue des Champions. Celui qui a marqué 26 buts en 114 matchs nous avait raconté entre autres ce mémorable souvenir, au cours d’une longue et riche interview. Retour sur celle-ci, avant la rencontre entre ses deux anciens clubs. Entretien. 🎙
Bonjour Emmanuel. Comment vas-tu et que fais-tu actuellement ?
Ça va bien, j’ai pris ma retraite en 2020. Je suis au Togo, auprès de ma famille. Cela se passe très bien. Je travaille dans l’entreprenariat et j’ai ma fondation avec laquelle je fais beaucoup de choses en Afrique pour aider et accompagner la jeunesse. Pour l’instant, j’ai coupé du foot même si je suis un peu impliqué via la CAF. Ce n’est pas un temps plein, je fais comme je veux.
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Raconte-nous ton arrivée à l’AS Monaco au mercato d’été 2003.
J’étais à l’époque très jeune puisque je n’avais seulement que 19 ans. J’avais fait une bonne saison avec le FC Metz en Ligue 2, où nous avons réussi à monter en première division. A l’issue de celle-ci, j’ai eu Didier Deschamps au téléphone.
Il m’a posé plein de questions et m’a notamment demandé si j’aimerais bien jouer à l’AS Monaco. Ma réponse a été tout de suite oui parce qu’il y avait une légende africaine au Club, Shabani Nonda. Je le voyais tout le temps à la télé, c’était un joueur que j’adorais énormément. C’était un grand frère. Monaco était aussi une très bonne équipe en France. Pour toutes ces raisons, je lui ai donc dit oui.
N’as-tu pas eu peur de rejoindre le Club qui était en Ligue des Champions avec la concurrence ?
Non pas du tout. Pour preuve, après Monaco, j’ai rejoint Arsenal qui comptait Dennis Bergkamp, Robert Pirès, Thierry Henry et je suis quand même parti. Depuis tout petit, j’avais confiance en mes qualités et je savais qu’en signant au Club, je ne serais pas titulaire.
Mais en étant sérieux et en apprenant auprès des autres joueurs et de mes grands frères, je pourrais m’améliorer et apprendre beaucoup de choses. Cela a été le cas, je n’ai jamais été un titulaire indiscutable mais j’ai fait mon petit bonhomme de chemin. Et si j’ai eu la chance de jouer à Arsenal, à Manchester City, au Real Madrid et à Tottenham, c’est grâce à mon apprentissage qui a été magnifique à l’AS Monaco.
D’autant que Monaco est réputé comme étant un club formateur, cela t’a conforté dans ton choix ?
Je pense que lorsque l’on parle de qualité de formation en Europe, il n’y a pas mieux que la France, et notamment le FC Metz, Sochaux, Saint-Etienne ou encore Monaco… Je suis resté 12-13 ans en Angleterre et j’ai de suite vu la différence. L’AS Monaco est un excellent club formateur et je suis très content d’être passé par ici.
Comment as-tu vécu de l’intérieur l’épopée européenne, et ce alors que tu n’as que 19 ans ?
Je ne m’en suis pas trop rendu compte à l’époque parce que j’étais très jeune. Je venais du FC Metz et je n’avais jamais connu ni participé à la Ligue des Champions. Je ne savais pas que c’était aussi important que ça. Et c’est vraiment lorsque j’ai signé en Angleterre, que j’ai vu ce que c’était. Et là, je me suis dit « Wouah, c’était vraiment magnifique ce qu’on a réalisé avec l’AS Monaco ! » Et maintenant encore plus parce que depuis ma retraite, je vois l’engouement autour de cette compétition.
J’ai eu une chance énorme de jouer à l’AS Monaco et de rallier la finale. Fernando Morientes était splendide, Ludovic Giuly était très fort, Jérôme Rothen était inarrêtable sur le côté, personne n’arrivait à dribbler Patrice Evra… C’était une année magnifique pour tous ces joueurs-là. Et même si on était sur le banc, on savait qu’on pouvait rentrer et faire la différence. Ce sont vraiment des moments inoubliables.
C’est ça, tu étais majoritairement remplaçant mais tu savais que tu pouvais apporter ta pierre à l’édifice.
Oui bien sûr, nous étions prêts à apporter notre pierre à l’édifice. Il ne faut pas oublier qu’on avait un entraîneur sur le banc, Didier Deschamps, qui nous faisait énormément confiance et qui nous parlait beaucoup. C’est vraiment un meneur d’hommes qui sait parler à ses joueurs et comment manipuler son équipe. Je pense qu’il le fait très, très bien.
Et pourtant, fin août, Shabani Nonda se blesse gravement. J’imagine que ça a dû te mettre un coup au moral ?
Cela a été un double coup dur pour moi car il ne faut pas oublier que je suis un Africain. C’est mon aîné. Quand je suis arrivé à Monaco, c’est lui qui m’a pris sous son aile. Il me faisait travailler devant le but, j’allais chez lui pour manger… C’est même lui qui me déposait chez moi après l’entraînement, à mon hôtel Columbus. Pour moi, Shabani, ce n’est pas un joueur mais un grand frère.
Sa blessure nous a forcément tous touchés mais quand on a vu Fernando Morientes, légende du Real Madrid, débarquer ici, c’était impressionnant. On a vu un joueur très simple, très poli et au service de tout le monde. Forcément, on avait tous des questions par rapport à Raúl, Zidane, Ronaldo, Roberto Carlos… Il était là, rigolait pour répondre et nous donnait des conseils, cela nous motivait.
Au final, c’est peut-être cette blessure qui vous a soudés davantage parce que l’on sait qu’il y avait une sacrée ambiance dans l’équipe.
Bien sûr parce que l’on savait que si l’on voulait réaliser une bonne saison, il fallait que nous soyons une famille, soudés et costauds, déjà pour nous-mêmes. C’est là où le coach était très intéressant parce que l’on sait que Monaco n’est pas un Club où le stade est à guichets fermés à chaque match, mais qui se veut davantage familial.
Donc pour aller vers l’avant, il fallait se soutenir, s’entraider et régler les petits problèmes entre nous en interne, avant que cela ne sorte. Je pense que l’on était comme des frères. Par exemple, toutes les deux-trois semaines, on se donnait rendez-vous pour manger ensemble. C’était vraiment cela notre force.
Et c’est ce qui vous a permis de battre le Real, Chelsea… Justement, quel est le match qui t’a le plus marqué de cet incroyable parcours ?
(Sans hésiter) Ce sont les matchs face aux Galactiques. Ce qui m’a marqué, c’est de voir Santiago Bernabeu pour la première fois sous les couleurs de l’AS Monaco. Quand j’ai vu les joueurs comme Raúl, Zidane, Roberto Carlos… C’était le rêve d’un gamin africain, et les voir puis jouer contre eux, il n’y a rien de plus beau. Cela ne faisait en plus que trois ou quatre ans que j’étais en France et seulement quelques mois que j’avais découvert la Ligue des Champions. Et avoir la chance de jouer contre ces joueurs-là, c’était encore plus impressionnant.
A ton poste, il y avait des joueurs expérimentés comme Dado Pršo ou Fernando Morientes. Comment étaient-ils avec toi, ils te donnaient des conseils ?
Si tu regardes bien, après mon départ de l’AS Monaco, j’ai marqué beaucoup de buts de la tête (34 exactement, ndlr.), et c’est en partie grâce à eux deux qui m’ont aidé dans ce domaine. Pršo et Morientes possédaient un jeu de tête extraordinaire. A chaque fois, ils me parlaient et me lançaient le ballon de manière à ce que je puisse sauter. Et s’il y avait des trucs à corriger, ils me le disaient pour que je m’améliore.
Mais honnêtement, le joueur le plus gentil que j’ai connu dans toute ma carrière, c’est Dado. Il a la tête de quelqu’un qui est un peu fou mais c’est une personne que je garderai dans mon cœur toute ma vie. C’est un gaillard, il a un gros corps… Il est tout ce qu’on veut mais lorsqu’on discute avec lui, il est tellement adorable. J’aimerais le revoir à nouveau.
🗯️ "La Corogne ceci. La Corogne cela." 👀👉 ⚽️⚽️⚽️⚽️
🎂 Happy Birthday Dado Pršo ! 🎂 pic.twitter.com/sLG36ZCZMl
— AS Monaco 🇲🇨 (@AS_Monaco) November 5, 2019
Justement, es-tu encore en contact avec certains joueurs de l’effectif ?
Oui je suis encore en relation avec quelques joueurs, notamment Patrice Evra. Il était mon voisin à Manchester, lorsque lui était à United et moi à City. C’était aussi un grand frère. Quand j’étais à Monaco, il habitait un étage au-dessus de là où j’étais. De temps en temps, on s’appelle avec Shabani Nonda. Comme il fait partie des légendes africaines, et lorsqu’il y a des tournées des légendes, on se croise.
Cela me fait toujours plaisir de le voir, de discuter avec lui et de prendre un peu de ses nouvelles et de sa famille. J’ai aussi pris récemment contact avec Jaroslav Plasil parce que c’était ma génération. Nous étions les plus jeunes joueurs de l’effectif, je suis très content de sa carrière. Il a joué en France au haut niveau pendant longtemps. C’était un joueur qui avait énormément de qualités, je ne suis pas surpris.
De manière plus générale, qui sont les joueurs qui t’ont le plus impressionné dans ta carrière monégasque ?
Je dirais Ludovic Giuly parce qu’avec sa petite taille, on se demandait parfois ce qu’il faisait et comment il arrivait à dribbler ses vis à vis. On ne le voyait pas mais il était toujours efficace. Humainement, c’était une personne qui nous faisait tout le temps rigoler au centre d’entraînement. C’était lui en fait l’ambianceur du groupe. Côté terrain et en dehors, il m’a vraiment impressionné. Parfois, il venait avec des voitures aussi petites que lui. Tout ce qu’il faisait était différent.
Sa blessure en finale de la Ligue des Champions a malheureusement été le tournant…
Oui parce qu’en huitièmes, quarts et demi-finale, c’était pratiquement notre homme du match. Et lorsqu’il se blesse et sort au bout de 15-20 minutes, on savait à ce moment-là que ça allait être une soirée très compliquée, et cela l’a été. Il apportait un style de jeu différent à l’équipe et faisait reculer la défense adverse parce qu’il pouvait faire des appels en profondeur. Dès qu’il est sorti, notre jeu était davantage basé sur les centres à destination de Pršo et Morientes pour leur jeu de tête et parce que ce n’était pas les joueurs qui courent le plus vite.
Quel est ton meilleur souvenir en Principauté ?
C’est la finale de la Ligue des Champions. On était une équipe très jeune, pas forcément connue et pas composée de stars. Malgré ça, on arrive à éliminer Chelsea et le Real Madrid. Pour moi, cela reste quelque chose que je retiens précieusement. A la fin, c’est vrai que l’on perd le championnat bien que l’on avait une avance de huit points, mais nous étions concentrés sur la C1.
On ressentait de la fatigue, des blessés comme « Toto » Squillaci, Gaël Givet. Cela nous a causé des problèmes et on a rétrogradé en troisième position. Mais le plus important est que l’on a réussi à atteindre la finale, d’autant que c’est tellement rare pour un club français. Après, il n’y a en effet que Paris qui a fait ça.
Après tout ce que vous avez vécu, est-ce que ce n’était pas difficile de se remettre dedans la saison suivante ?
Vous savez, ce qui est magnifique quand on est jeunes, c’est qu’on se dit que l’on peut le refaire, peut-être l’année d’après, dans 2 ans ou 3… Au bout d’un moment, c’est devenu notre quotidien donc on se disait qu’on pouvait rééditer cette performance et cela nous motivait à chaque fois. C’est cet état d’esprit que j’ai eu durant toute ma carrière.
C’est ce qui t’a aidé à réussir dans les plus grands clubs européens ?
Bien sûr parce que je me suis dit que si avec Monaco, on a réussi à aller jusqu’en finale, pourquoi ne pas essayer de la gagner avec Arsenal, Manchester City ou encore le Real Madrid. Qu’on le veuille ou pas, ces équipes ont quelque chose de plus que l’AS Monaco. Et tout ce que j’ai appris ici, c’était à moi de le mettre en pratique dans ces clubs-là pour la remporter.
Malheureusement, cela n’a pas été le cas mais je suis quand même content de ma carrière parce que je viens d’un quartier qui s’appelle Nyékonakpoè, il n’y avait pas un seul terrain gazonné. Donc arriver à faire cela en jouant dans les plus grands stades au Monde, je ne peux être que fier et je suis persuadé que mon pays l’est également.
Surtout que tu parviens à qualifier le Togo à la Coupe du Monde 2006, la seule dans l’histoire du pays !
C’est la cerise sur le gâteau. J’avais déjà fait plein de choses avec mes clubs respectifs en étant par exemple l’un des joueurs clés de la montée à Metz en 2003 et membre de l’effectif qui a atteint la finale de la C1 2004 avec Monaco. En 2006, j’ai été carrément l’artisan qui a amené mon pays à la Coupe du Monde, car même s’il y avait plus de 30 joueurs dans l’équipe, j’étais le meilleur buteur des éliminatoires de la zone Afrique avec 11 buts. On ne pouvait pas demander mieux.
Et par la suite, tu es devenu le visage phare de la sélection.
Oui pendant des années, j’ai été le joueur qui a eu la chance de jouer dans des grands clubs et je suis reconnu parmi les légendes du foot africain par la CAF. Maintenant, je prie pour que l’on retrouve d’autres joueurs comme moi et pourquoi pas qu’ils me dépassent car ce sont des choses difficiles quand j’entends d’autres légendes dire qu’il n’y en a pas d’autres. Je prie le bon Dieu qu’ils m’en donnent et que l’on réussisse à se qualifier pour les prochaines CAN et Coupes du Monde.
Pour terminer, aurais-tu un mot aux supporters de l’AS Monaco qui vont lire cet interview ?
Merci à eux car c’est ici que j’ai connu le haut niveau. J’ai plein d’amis qui m’ont envoyé des messages sur les réseaux sociaux en me disant qu’ils m’ont vu jouer et grandir, et qui étaient là à Monaco. Je tiens à les remercier parce que sans eux, je n’aurais jamais eu la chance de faire cette carrière. Big up et vive l’AS Monaco ! Je continue bien sûr de suivre les résultats. Cela fait maintenant un an et demi, deux ans que je suis installé en Afrique, c’est plus facile de regarder tous les scores de mes anciens clubs.